vendredi 17 octobre 2008

Anodinement votre

C’est 18h30, l’heure où toute la capitale désire rentrer chez elle le plus rapidement possible en se donnant rendez-vous dans le métro.
Une femme blonde cendrée, sac verni noir, lunettes noires. Debout. Elle est un peu plus grande que les autres personnes du wagon.

La voilà qui soulève brusquement le bras pour se gratter le crâne, bousculant au passage son voisin, un homme au teint blafard, yeux pochés de gris veiné. Il esquisse un mouvement de recul, l’œil fixe, torve. Un mince filet de sueur recouvre entièrement son front. Le trou noir de sa bouche paraît sur le point de laisser échapper quelque chose, un son, une goutte, une dent peut-être. Mais non. Il reste suspendu un instant, figé, puis bouge, désintéressé.

La femme paraît maintenant lointaine, posée au centre de cette grappe humaine d’identités agglutinées ensemble à un niveau spatialement inférieur au sien. Elle règne, seule bénéficiaire d’une perspective sur tapis de cheveux variés.

Le front de l’homme blafard perle toujours.
Il sursaute.
La femme est en train de se gratter. À nouveau. Ses ongles rouges farfouillent furieusement dans la tignasse.
Quelques nez frémissent. Des visages tressautent. Certaines faces se tournent, avides. La femme gratte toujours. Elle semble ne rien remarquer.
L’œil poché se fait dédaigneux tandis que la main s’extrait de son champ blond pour retourner au bout du bras.
Les regards s’adoucissent, se détournent, se détachent pour retrouver leur errance publique. Ou leur bouquin.

Mais féroce, la femme se gratte à nouveau.
Là, des figures perplexes se tournent. Ca se tortille, ça se gratouille discrètement. Aurait-elle des poux ? Un eczéma ? C’est une galeuse, j’en suis sûr ! Est-elle contagieuse ?
Ca respire vite, ça s’agite. L’effroi glace certaines paupières, on s’échange des questions silencieuses.
La femme persiste à fouiner dans l’espace au-dessus de sa nuque, là où c’est chaud, là où nichent des insectes. Des poux. Des colonies entières de poux. Avec ces ongles au verni sanglant qui sèment la pagaille dans leur nid, ils vont se disperser et tomber en pluie sur le crâne de ces pauvres voyageurs, victimes ici à cet instant d’un hasard cruel. Des remous se font sentir au niveau spatialement inférieur à mesure que la pensée du parasite galope. Des colonies entières de poux. Pondant.
Et elle qui ne s’arrête toujours pas, décalée, souveraine. Grattant avec ferveur comme on gratterait un chien rétif.
L’interminable métro. C’est un traquenard messieurs-dames, un traquenard ! Ca pense, ça visualise des insectes, ça lève le nez et hausse les sourcils en guise de protestation, ça cherche une issue lorsque la porte s’ouvre avec fracas.

Bousculade, pieds, sacs, trébuche, marche, quai.
La grande gratteuse reste.
Avec ses hauts talons, sa taille trop fine, ses lunettes noires.
Et ses poux supposés.

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