mardi 13 octobre 2009

Bourrasque

Cette fois, elle n’est plus dans un parc, elle est dans un café.
Comme d’habitude elle ne fait rien, si ce n’est observer les gens passer. Le temps est capricieux, il se couvre. Elle a froid mais reste immobile ; elle n’a pas envie de froisser son humeur plus qu’elle ne l’est déjà. La sensation d’un manteau exhumé d’un placard, ou d’un parapluie usé, ou d’une vielle cloche, l’étreint. D’une vieille cloche, oui. Exactement. Tout va pour le mieux, pourtant. D’où vient alors cette insatisfaction rampante ? Pourquoi ce trouble, envahissant ?
Une dame ornée d’un petit chien - irresponsable parure consentante - passe devant elle.
La vacuité de ses actes lui apparaît avec violence. Agir sans noble cause, à quoi bon ? Une « noble cause » ? Vanité.


Elle se sent engoncée dans une question silencieuse, un doigt de pied en équilibre au-dessus du vide. Impossible de formuler le saisissant indicible qui siège au cœur de son être. Un observateur extérieur pourrait penser ces sensations marécageuses comme des sursauts de tristesse. Mais il se tromperait. Effusions, épanchements, troubles, cris et autres démonstrations sentimentales sont sans substance, cette vérité la frappe soudain. Elle y voit un simple symptôme, la fluctuation d’un esprit agité. Ce ne sont pour elle que mouvements périphériques.
Elle sait le centre, et le centre est tout autre. Il est calme, comme un roc. Profondément détaché de cette agitation, il observe. Ni trouble, ni jugement, ni attente. Il est simplement là, malgré l'hiver.

vendredi 9 octobre 2009

À l'abordage !

Sonnez clairons, sonnez trompettes, roulements de tambours... Tadaaaaam !!!
Tout beau, tout chaud, voici le dernier livre sorti aux Editions Yago :
"Le Bateau-usine" de Kobayashi Takiji !
Je vous laisse lire la 4e de couverture pour vous donner une idée.
"Enfin traduit en français, le Bateau‑usine est le chef d’oeuvre de Kobayashi Takiji. Ce classique décrit les conditions de vie inouïes des travailleurs à bord d’un navire pêchant le crabe dans les mers froides et dures, entre Japon et URSS. Exploités et humiliés, ces hommes découvrent la nécessité de l’union et de la révolte. Réaliste et novateur, ce texte culte connut un succès international. Il rencontre aujourd’hui un regain d’intérêt, entraînant la sortie de plusieurs films, mangas, etc. Quatre‑vingts ans après sa parution, en 1929, il est devenu au Japon le porte‑flambeau d’une jeunesse désenchantée. Une oeuvre engagée et avant‑gardiste, plus que jamais d’actualité."

Merci à tous, j'ai adoré travailler sur l'image de couverture et donner un petit coup de main sur la mise en page intérieure. Je n'ai qu'un mot à dire : youhouu !
Il va atterrir dans les rayons des librairies françaises sous peu, ouvrez l'oeil matelots !

vendredi 2 octobre 2009

"Pièce ronde" - Épisode premier


Elle et Lui marchent sur un chemin de graviers gris.
Ils sont habillés chichement, de retour d'un mariage.
Il mange une pomme tandis qu'Elle défait, épingle par épingle, son chignon très compliqué.


LUI
Vraiment ?! Tu as fait ça ?! Mais c'est insensée !

ELLE (le prenant mal)
Je crois plutôt que ça te fait peur et que tu dis que je suis insensée
car la logique est bien confortable et t'évite de réfléchir trop !

LUI
Non, la logique permet seulement de gagner du temps et d'économiser de l'énergie.

ELLE
C'est bien ce que je dis : elle est confortable !

LUI
...

ELLE
Et si tu utilises la Logique comme façade pour légitimer tes actes ?
Et si derrière cette façade, il n'y a rien d'autre que l'Infini ?
Et si les pensées qui te traversent à chaque instant ne t'appartiennent pas ?
Et si tu es simplement un récepteur d'ondes que tu transformes ensuite en actes, actes sur lesquels tu oses ensuite apposer le sceau de ta Logique ?

LUI
Et si tu arrêtais de poser des questions et que tu avais des réponses ?

ELLE
...

LUI
...

ELLE
Ce serait mentir.

LUI
Non, ce serait grandir !

Il s'arrête et lui tend la pomme entamée.
Elle hésite un instant, puis croque, sans la prendre en ses doigts.
Elle mastique très longtemps sa bouchée tandis qu'Il la couve du regard.
Puis Elle lui sourit.
Il se met alors à lui chatouiller les hanches, encore et encore, jusqu'à la faire se tortiller sur le sol. Ils s'embrassent avec ferveur, puis se chatouillent à nouveau, roulent l'un sur l'autre, s'embrassent encore...
Un homme en blouse blanche entre, tenant en main une longue et fine baguette en bois.

LE PHYSICIEN, montrant avec sa baguette les zones concernées
Voilà, comme vous pouvez le constater, cet homme et cette femme sont en phase de pré-copulation. Leur discussion n'était qu'un prétexte pour pouvoir s'éloigner et satisfaire leurs pulsions.
En attendant qu'ils terminent cette phase de pré-copulation pour passer à la suivante, nous allons étudier les conditions atmosphériques idéale à la formation d'un cumulo-nimbus dans la stratosphère. (il sort de sa poche une clochette et la fait retentir)

(à suivre)

mercredi 30 septembre 2009

Quand les oreillers osent...


... ils dévoilent leur intimité.

"Les hommes mariés ne font pas les nuits douces" de Yaël König, est paru aux éditions Yago.
Je suis honorée, autant que ravie, d'avoir fait cette couverture !

lundi 7 septembre 2009

Champagne !

First add for The Guardian !


Direction : Laurie Thinot
Animation : Gustavo Almenara
Production : Partizan Lab London
Agency : Wieden & Kennedy London

Thank you guys !

lundi 31 août 2009

PIOU !

- début message Oizo à Terre - Nous, Oizos, userons nos plumes pour écrire ce que nous volons ! - fin message Oizo à Terre -

mercredi 26 août 2009

La sinusite de mon père n'a de limite que la longueur du reste de ses cheveux qu'il entretient quotidiennement avec ferveur

Un titre pour Mateï Vişniec, écrivain de théâtre et prince des longs titres.
Voici ses trois culminants, classés par ordre décroissant de longueur :

1 • "L'Histoire des ours Panda raconté par un saxophoniste qui a une petite amie à Francfort"

2 • "Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux"

3 •"De la sensation d'élasticité lorsqu'on marche sur des cadavres"

mardi 25 août 2009

Punition a vénérer


Merci à RawImage pour les textures

mercredi 29 juillet 2009

Oui, minuit

Pictured in Paris
29 juillet 2009

To eat or not to eat


Pictured in Paris
29 juillet 2009

vendredi 24 juillet 2009

Les folies de Lucien


Une déception à lire ici...
Dommage. Pourtant, en faisant abstraction de la typo, l'affiche donnait envie.

Mise en scène : Jacques Dombrowski

Avec : Clotilde Chevalier, Sébastien Duchange, Sandra Durando, Éric Jetner, Marie Klaus, Virginie Perrier, Léovanie Raud, Benjamin Rolland, Loïc Tévenot

Parolière : Marie Klaus

Composition musicale : Baptiste Chéron

mercredi 22 juillet 2009

[Oups + Opus]

[Oups + Opus ] c'est fantastique, et c'est dans le OFF d'Avignon, Studio des Hivernales. Allez y !
La critique est ici.


[Oups + Opus], de Bérengère Fournier et Samuel Faccioli

Chorégraphie : Bérengère Fournier et Samuel Faccioli

Avec : Bérengère Fournier et Samuel Faccioli

Musique : Gabriel Fabing

Création lumière : Gilles de Metz

http://vlalavouivre.com/

lundi 20 juillet 2009

Infiniment là


Et hop, deuxième critique en ligne à lire ici !

Infiniment là, de Anne Conti au théâtre du Chien qui Fume en Avignon !

Conception et texte : Anne Conti

Violoncelle : Rémy Chatton

Percussions : Vincent Le Noan

Guitare : Benjamin Leherissey

Avec : Anne Conti

jeudi 16 juillet 2009

Rouge !


Ma première critique Avignonnaise sur Les Trois Coups, "Rouge !", un Petit Chaperon Rouge version trash, à lire ici.


Mise en scène : Gustavo de Araujo

Avec : Clotilde Durupt, Timothée Lepeltier, Sandrine Moaligou, Gustavo de Araujo

mardi 30 juin 2009

Sélection Saatchi & Saatchi 2009 !


Autokratz "Stay the same" est dans la sélection du 19thSaatchi & Saatchi New Directors’ Showcase !
Le programme a été diffusée à Cannes le 25 juin... Rien que d'y penser, je suis toute intimidée !
Merci à Gustavo Almenara de m'avoir aidé sur ce projet !

dimanche 21 juin 2009

Choix de conjugaison matérielle

Être est un groupe, habillé de la même façon. Lorsque le groupe parle, c'est de concert. De temps à autre chaque individu prononce tour à tour une fraction de phrase.
En face de lui est Avoir, seul et très sûr de lui. Un roc.
Pendant le dialogue, Être se déploie, perpétue des gestes d'indignation et de colère, s'agite.
Avoir est calme.

ÊTRE
Non ! Taisez-vous ! Vous m’avez déjà assez heurté. Je ne veux plus rien entendre, ne voyez-vous pas les rigoles de sang que charrient mes oreilles ? Elles me chatouillent le cou. C’est humide sur ma poitrine. Ne voyez-vous pas ? Ils ne voient pas ! C’est à se demander s’ils ont déjà vu !
Je vais vous dire ce que j’en pense, moi, puisque les aveugles sont ici couronnés.
Votre système est inhumain. Vous pouvez me traiter de naïf en riant, vos grandes bouches ne me font pas peur. Qui êtes-vous, bande d’Hypothèses ? Qui pensez-vous être ? Comment osez-vous bafouer le monde à ce point ? Je vous crache !

AVOIR
Tu ne comprends rien.
Tu perds tout car tu ne sais pas ce que tu peux gagner. Ce que nous sommes, tu dois le devenir, sous peine de rester enfermé dans ton monde illimité. Nous sommes présents car nous savons que nous gagnons notre futur ; nous savons aussi qu’un jour nous le perdrons. En attendant, nous accumulons, car accumuler donne un sens. Nous aimons nos biens. Nous pouvons les contrôler. Ils ont un rôle clair dans notre existence, une finalité. Nous devenons, grâce à ce système, des êtres sensés. Nos actes prennent une dimension nouvelle car ils ont une direction claire. Cela s’appelle la civilisation.

ÊTRE
Et la vie ? Ce que vous appelez civilisation est seulement une illusion de pouvoir ! Faute de vous contrôler vous-même, vous imposez vos caprices au monde matériel ! Dans votre système, « avoir » égal « pouvoir » ! Je m’insurge ! Nous sommes bien plus riches que ce que nous avons !

AVOIR
Hahaha ! Détend toi, mon cher. Tu peux dire ce que tu veux, de toute façon nous sommes majoritaires.

ÊTRE
Alors j’incarnerais la révolution jusqu’à mon dernier souffle !

AVOIR
Nous te ferons mettre une plaque.

jeudi 11 juin 2009

Vertigineusement

C’est mal assise, les fesses mollement calées dans un siège peu pratique, que mes pensées coulent vers leur point d’expansion. Voyager en avion remonte le temps.

Je regarde dehors, tout est noir. Les hôtesses nous traitent comme des enfants, avec force de miel et de sourires édulcorés. Si je meurs aujourd’hui, c’est que c’était le moment.

Je pensais avoir peur de l’avion et mon appréhension prenait son essor en crescendo alors que nous préparions notre envolée. À côté de nous, un asiatique. Hilare. « Ça c’est le petit volet, regardez, regardez ». Nous regardons la tôle de l’aile.
« Là ! » Oui, ça bouge, effectivement.
« J’étais pilote de chasse quand j’étais jeune ! ». Se remémorer cette époque le met dans tous ses états. Immédiatement, je commence à le harceler de questions sur le mode de fonctionnement de ces fameux petits volets. Ils sont perpendiculaires aux ailes de l’avion lors du décollage. L’avion s’élance alors sur la piste jusqu’à atteindre 400km/h et la résistance de l’air, appuyant sur ces volets, le fait décoller automatiquement. Rien de magique. Juste un simple phénomène physique inévitable.

Cette démystification a eu pour effet de dissoudre en moi tout résidu d’appréhension.
Ce n’est donc pas de l’avion que j’ai peur, non. L’avion est une excuse commode pour éprouver ma peur du vide ; ce vertige une fenêtre ouverte sur l'indicible.
Le vide est impensable. Il est juste trou. Facile de visualiser ce vide autour d'un avion, d'imaginer s’y perdre, disparaître. Se résoudre à tomber dans le vide une bonne fois pour toute, sans simagrée, pourquoi est-ce si effrayant ? Suis-je à ce point attachée à mes édifices de pensées sculptés par le temps ?
Il faut croire que oui.
Fantastique ! C'est donc par vanité que j'ai peur de mourir.

vendredi 29 mai 2009

MAEDUSA !!!!

maedusa simple
Maedusa vient de battre tous les records de votes (382) à la demi-finale du Tremplin Emergenza au New Morning, avec une performance virtuose !
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'ils vont jouer à l'Élysée Montmartre !!!
Get ready, ça va décoiffer !
www.myspace.com/maedusamusic>

jeudi 21 mai 2009

5e salon du théâtre et de l'édition théâtrale

Parisiens, venez donc nous saluer sur le stand Les Trois Coups !
Du vendredi 22 au dimanche 24 mai, Place Saint-Sulpice, 75006.
Plus d'info ici.

lundi 18 mai 2009

De l'inertie

Une femme est assise par terre, un stylo et un carnet à la main, marmonant des phrases inintelligibles, regardant dans le vague, puis se replongeant dans l'écriture, raturant, absorbée. Un groupe de gens portant tous le même tee shirt jaune entre et reste à proximité, visiblement intrigués. Un temps.

LE GROUPE (en conciliabule, regards à la dérobée)
Oh, elle est bizarre, elle parle toute seule et on ne comprend rien à ce qu'elle dit.
Oui, c'est vrai.
Et tu as vu, elle a de drôles de chaussures.
Ah ouais.
Qu'est-ce qu'elle fait ?
Je me demande si elle est française, elle est typée non ?
Oh, regarde, elle se gratte !

FEMME AU CARNET (s'énervant)
Non mais y’a pas idée de lorgner comme ça chez les autres, à l’affût de débusquer ce qui cloche ! Comme de sales fouines ! Occupez vous de vos fesses ! Au lieu de critiquer ce qui ne va pas ailleurs, z'avez qu'à commencer par améliorer ce qui cloche chez vous ! Non mais sans blague ! (elle se lève) Une fois que vous aurez bien déplié l’éventail de vos petits problèmes, que vous les aurez bien interrogé, bien étudiés à la loupe, bien retourné dans tous les sens, bien déploré, il n'y aura plus qu'à bien accepter votre mission : bosser dessus ! Ouais, parfaitement, bosser dessus, même si c'est pas agréable ! C’est comme ça qu’on transforme le monde putain, pas en allant dire au voisin que c'est lui qui doit changer ! Ça s'appelle prendre la responsabilité de ses actes, ça, messieurs-dames ! Parfaitement !

LE GROUPE (toujours en conciliabule, regards à la dérobée)
Tu as vu, elle s'est énervée.
Ouais, elle est bizarre, hein.
T'approche pas trop, elle va peut être nous attaquer.
Oh, tu crois ?
Tu as vu les marques de soleil qu'elle a sur le visage ?
Oh ! Oh ! Hé !
Attention !

N'osant bouger d'un cil, ils la dévisagent silencieusement tandis qu'elle sort. Une fois seuls, ils reprennent.

C'est fou hein !
Comme c'est pittoresque !
Ha ha ha !
Les gens sont bizarres quand même !
Oui, c'est clair !
Et quand elle a dit "Non mais sans blague !" hahaha !!
Avec ses gros yeux !
Oh oui, ses yeux !
Ils brillait de façon étrange, hein !
On va boire un verre ?
Oui !
Quand même, les gens sont fous hein !
Hihihi !
"Non mais sans blague !"
Hahaha, tu l'imites trop bien !!
En fait c'était toi !
Hahaha !
Ouais : "il n'y aura plus qu'à accepter votre mission" !
Hahaha !

Ils sortent, tout en continuant à échanger de façon animée sur ce qui vient de se passer. À mesure qu'ils s'éloignent, leurs voix perdent progressivement en intensité.

dimanche 17 mai 2009

Amours en tempête

En plein cœur de l’absurde amoureux, il importe de rester sérieux. Extrêmement sérieux. Sinon tout le comique de la situation disparaît à jamais. A-t-on déjà vu les protagonistes d’une situation tordante avoir conscience de la drôlerie de leurs actes ? Non. Justement. C’est parce qu'ils s'ignorent qu’il sont drôles. En plus d’être englués dans un inextricable tissu de circonstances, les voilà désemparés ! Ils se débattent à perdre haleine, agitant les bras comme des manchots, versant des torrents de larmes, empêtrés, inconfortables. Profondément mal. Leurs visages sont exsangues. Ils suent, soufflent, souffrent à se damner de leur existence. Quelle lutte, quelle douleur ! Dérobés à leur propre regard, ils ne savent plus qui ils sont ni ce qu'ils font.

À cet instant précis, ils sont ridicules. Et beaux.

T'emballe pas

J'aime trop respirer pour fumer

En me promenant dans mes archives, voilà que je tombe sur cet ancien texte, témoin de mon arrêt de cigarette. Exhumation, donc. D'autant plus d'actualité que j'ai retenté une bouffée de cigarette qui m'a chatouillé les poumons au point de me tordre en toux en me jurant de ne plus jamais recommencer. Conclusion : arrêter de fumer, ça marche, et c'est possible, oui !


« Je me défends d'être sentimentale, mais je me suis remise au chant lyrique. Je veux, je dois, je peux chanter majusculement, à la Callas, hurler sans heurts.
Cinq ans déjà que j'avais tout arrêté au profit de ce paquet de Marlboro Light. Commencer la cigarette à 21 ans, une bêtise ? Une excuse surtout, des questions, de l'eau dans les yeux. Un paquet par jour. Des paquets qui se succèdent en file indienne. Une cheminée. Mes vêtements, mes murs, mes amis, mes amours, mes choix à travers ce filtre, ma vie noyée dans ce brouillard de fumée, ponctuation. Ponctuer. Un assemblage de virgules, respirations multiples.

Il paraît qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Mon feu me ravageait et je l'alimentais, cigarettes après cigarettes, semblants après semblants. Même mes silences étaient faux, occupés à aspirer le suc de mes bâtons. J'habitais Montmartre. Je prenais des cours de théâtre trois fois par semaine, le soir. Le reste de mon temps me voyait assise en face d'une tasse vide et d'un cendrier plein, stylo en main, déversant quantité de mots asphyxiés.
Fumer jusqu'en oublier le pourquoi.
Fumer pour se sentir exister.
Fumer pour se voir respirer.
'Je fume donc je suis' clamais-je silencieusement.
Puis je me parais de mon plus beau sourire et avançais vers un type pour demander s'il n'aurait pas une clope par hasard. Galant il dégainait son paquet et m'allumait avec son briquet. Et je m'éclipsais. J'aimais bien taxer des cigarettes à des inconnus : c'était simple, j'avais une bonne excuse pour les aborder, l'échange était clair, et l'homme ne se transformait pas en pot de colle excité par mon numéro de téléphone.

Le paquet vide, le paquet plein, le paquet vide, le paquet plein ; un rythme.
Je nourrissais une certaine culpabilité.
Je regardais mes amis prévoyants avec leur cartouche d'avance ou leur 2-paquets-car-demain-c'est-dimanche-et-les-tabacs-sont-fermés. Non, impossible, je ne voulais pas m'identifier à ce point à cet objet ; je préférais ne plus avoir de clope et me mettre désespérément en quête le moment venu.

Le matin, aussi. La bouche qui colle, la toux, le goût. Espérer que le mec qui dort à côté n'aura pas la mauvaise idée de m'embrasser maintenant, lui qui n'a pas encore une image de moi souillée.

Mais le pire de tout, c'est cette sensation de dépendre de quelque chose. De ne pas contrôler. D'avoir envie de fumer alors que ça commence à bien faire et qu'en plus il faut payer.
Quel supplice pour l'ego !
A chaque cigarette allumée je baissais dans ma propre estime plus bas, encore plus bas.
Je me détestais. Je me trouvais tellement faible, tellement nulle, incapable de rien, juste bonne à me vautrer et fumer des clopes. Alors je regardais dans le vide une seconde et saisissait l'avant-dernière du paquet, me disant confusément que je le mérite de toute façon, que si je crève à cause de ces clopes ce sera de ma faute.
Pas d'estime de moi. Un laisser aller. De la colère, beaucoup. Souvent, une immense envie de hurler. Impossible. Trop de monde. Trop de monde. Partout. Infesté. Du bruit. Un cri vivant coincé derrière les lèvres je les regardais passer, hérissée, les nerfs en pelote, révulsée ; je les haïssais, c'était de leur faute, il y avait trop de bagnoles, trop de boucan, putain y'a pas de coin dans Paris où on peut gueuler y'a toujours du monde, je voyais blanc, respiration saccadé, plexus noué.
Je tirais fébrilement sur ma cigarette. Tremblante. La tasse vide. C'est dans ces moments que mon paquet de Marlboro Light prenait un sens. Il était l'instrument ultime pour justifier ce dégoût de moi-même. J'étais triste. J'avais oublié la beauté. De mal en pire en pire. Cinq ans.

Puis j'ai ouvert les yeux, j'ai décidé. J'ai tout décidé.
J'arrête. Je vais vouloir fumer. J'aurais envie de fumer. Je vais en chier, c'est normal.
Je ne vais pas grossir car je ne vais pas remplacer, je vais arrêter.
J'aurais le droit d'avoir envie d'une clope autant de fois que je le voudrais.
J'aurais le droit de fixer avec envie la cigarette du type d'en face, de tenter de lui en voler des volutes avec mon nez, de m'imaginer en train de la fumer en même temps, d'être à deux doigts de lui en demander une et même de la lui demander, mais jamais de l'allumer.
Je vais me sentir mal, mon corps va mettre du temps à s'habituer, mon métabolisme va être bouleversé. Jamais il ne faudra se dire 'ça y est, j'ai réussi, j'ai arrêté ' : non. Fumeuse j'ai été, fumeuse je resterais. Toute ma vie. Chaque jour il me faudra arrêter de fumer à nouveau. Chaque jour je vais me battre pour récupérer ma dignité. Jamais il ne faudra céder, car céder c'est tomber.

Je me suis remise au chant lyrique. Je veux, je dois, je peux chanter majusculement, à la Callas, hurler sans heurts. Cinq ans déjà que j'avais tout arrêté au profit de ce paquet de Marlboro Light. Ma victoire chaque jour renouvelée n'en est que plus brillante. Ma vie a tourné. Je veux, je dois, je peux chanter majusculement

Laurie Thinot 2005, "Heroes", extrait

mardi 12 mai 2009

Confidences à Allah

Une petite critique écrite en passant, car j'ai le nez bien trop plongé dans d'autres choses en ce moment pour dépenser mon temps sur les sièges des théâtres parisiens. Et je le déplore.
En tout cas, j'ai passé un intéressant moment avec Alice Belaïdi dans "Confidences à Allah", mise en scène par Gérard Gélas au Théâtre du Petit Montparnasse. Vous pouvez lire ma critique en suivant ce lien !

jeudi 7 mai 2009

Bravoure

Les mots tentent l'impossible.

Made in Hong Kong, April 2009

samedi 2 mai 2009

Don't even try to catch me

I love people but I'm not your friend.
catch love
Written & pictured in Hong Kong, Saturday 18th april 2009


lundi 27 avril 2009

Kitsch, suite

"Des utilisateurs ont signalé le contenu de ce blog comme inacceptable"
Alors là, il faut qu'on m'explique.

dimanche 26 avril 2009

Are you kitsch, my dear ?

"Train à six du matin à la gare de Delhi. Il a fallu se lever à quatre heure pour débarquer dans cette gare où l’odeur est insupportable. L'endroit est sale, plein de mendiants et autres miséreux de tous poils, dormant par terre ou sur des ballots, édentés, en haillons. De gros rats trottinent entre les voies. Il fait encore nuit. Un cafard de dix centimètres glisse sur le mur derrière moi. Cette ville, cette gare, sont grouillantes, vivantes en dedans et en dehors, simultanément. Même l’air est infesté de vies contradictoires, de bonheurs à contresens, de victoires sans goût, de larmes brouillées, de sang mort. Pandémonium soudain rythmé par une voix féminine appelant les passagers à se rendre sur les différentes voies. J’ai l’impression d’un écoulement de lourdeur avançant lentement, d’une coulée de poix en pente douce, presque arrêtée.

Puis se précipite le train, ébranlant l’édifice précaire du vide. Certains s’élancent à sa suite, nous les imitons par soucis de mimétisme. Il s’arrête un peu plus loin. Comment savoir où s’asseoir ? Nos billets indiquent les places 73 et 74 dans le wagon C3. Nous devons donc remonter le train.
Après quelques hésitations, nous voilà installés.
Ce train est étonnant. Face à face, des rangées de banquettes dures comprennent trois places côte à côte. Il y a des barreaux aux fenêtres et surtout, un grand nombre de ventilateurs noirs collés au plafond, pareils à de gros insectes poussiéreux. Les murs sont bleu ciel passés, l’éclairage au néon. Deux femmes sont déjà installées de l’autre côté.
Le train se remplit progressivement. Des mendiants implorent une pièce à travers les barreaux ; les sâdhus, petite coupelle dorée à la main, torse nu, pantalon et turban rouge, crachent ou dorment sur les voies. Ils ont les dents noires.

Démarrage. Le jour pointe. Un homme est assis dans une carriole emplie de foin. Le train avance paresseusement, émettant un doux roulis. La voie est constellée de femmes, d’hommes et d’enfants, une bouteille d’eau à la main, accroupis, alors que nous avançons le long de bidonvilles en tôle et tissu, crasseux. Ces gens en haillons accroupis expulsent leurs excréments en regardant passer notre train ; la bouteille d’eau trouble qu'ils tiennent en main leur permet de se rincer les fesses. Les rails sont idéaux pour cette pratique, car ils permettent l’accroupissement, pieds en hauteur, protégés. L’odeur est très forte, âcre. Il est étonnant de les voir tous déféquer de la sorte sur plusieurs kilomètres. Je me surprends à tenter de calculer la quantité de selles présentes sur les voies, sachant qu’ils doivent y revenir plusieurs fois par jour. Changent-ils tous les matins d’endroit, heureux d’en inaugurer un vierge, ou restent-ils toujours dans le même périmètre ? Y’a-t-il un semblant de règles régissant les territoires ?

Après plusieurs kilomètres, les bidonvilles et leurs habitants se dispersent. L’air rafraîchi légèrement. La végétation apparaît, d’un beau vert, vision salvatrice après trois jours passés dans l’enfer ocre de Delhi."
Extrait de carnet, Delhi, Septembre 2005



"Sans la moindre préparation théologique, spontanément, l’enfant que j’étais alors comprenait donc déjà qu’il y a incompatibilité entre la merde et Dieu et, par conséquent, la fragilité de la thèse fondamentale de l’anthropologie chrétienne selon laquelle l’homme a été créé à l’image de Dieu. De deux choses l’une ou bien l’homme a été créé à l’image de Dieu et alors Dieu a des intestins, ou bien Dieu n’a pas d’intestins et l’homme ne lui ressemble pas. Les anciens gnostiques le sentaient aussi clairement que moi dans ma cinquième année. Pour trancher ce problème maudit, Valentin, Grand Maître de la Gnose de IIème siècle, affirmait que Jésus « mangeait, buvait, mais ne déféquait point ».
La merde est un problème théologique plus ardu que le mal. Dieu a donné la liberté à l’homme et on peut donc admettre qu’il n’est pas responsable des crimes de l’humanité. Mais la responsabilité de la merde incombe entièrement à celui qui a créé l’homme, et à lui seul.
( … )
Si, récemment encore, dans les livres, le mot merde était remplacé par des pointillés, ce n’était pas pour des raisons morales. On ne va tout de même pas prétendre que la merde est immorale ! Le désaccord avec la merde est métaphysique. L’instant de la défécation est la preuve quotidienne du caractère inacceptable de la Création. De deux choses l’une : ou bien la merde est acceptable (alors ne vous enfermez pas à clé dans les waters !), ou bien la manière dont on nous a créé est inadmissible.

Il s’ensuit que l’accord catégorique avec l’être a pour idéal esthétique un monde où la merde est niée et où chacun se comporte comme si elle n’existait pas. Cet idéal esthétique s’appelle le kitsch.

C’est un mot allemand qui est apparu au milieu du XIXe siècle sentimental et qui s’est ensuite répandu dans toutes les langues. Mais l’utilisation fréquente qui en est faite a gommé sa valeur métaphysique originelle, à savoir : le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde ; au sens littéral comme au sens figuré : le kitsch exclut de son champ de vision tout ce que l’essence humaine a d’essentiellement inacceptable."
Milan Kundera « L’insoutenable légèreté de l’être » 1984

lundi 20 avril 2009

Modelage

Le langage est à l'Homme ce que la main est à la glaise.
Written & pictured in Kowloon city & Lantau Island

dimanche 19 avril 2009

Wisdom path


La sagesse commence lorsqu'on arrête de poser aux autres les questions auxquelles on doit répondre seul.

Written & pictured on the wisdom path, near Po Lin Monastry, Lantau Island

samedi 18 avril 2009

Point

Depuis que j'ai réalisé que je ne suis pas le centre du monde, je trouve cette planète surpeuplée.


mardi 14 avril 2009

Hong Kong !

À la veille d'un grand voyage, je me sens encore plus microscopique qu'à l'accoutumée.

samedi 11 avril 2009

Sculpter le vide *4

Phase 04
Idem. Face à face.

Cette petite garce me dévisage. Sans un mot. Je me vois me lever d’un trait, lancer mon bras, lui mettre une claque. Sonore. Et me délecter de l’envoyer valser plus loin, de lui faire lâcher cet indécent morceau de salade, de la faire dégringoler hors de ma zone comme on bouscule une quille. Ces pensées me traversent l’esprit avec précision, une à une, alors que la gamine me fixe la face. Elle respire fort, la vache. Je suis pétrifiée. Sensation accentuée lorsque je découvre ses bras, de molles tiges dont la finesse jure avec le gras du reste. Et ces doigts, menus, serrés, innombrables, recroquevillés autour de l’atroce feuille verdâtre à l’odeur d’huître.
« Anatèle ! Anatèle ! »
La gosse se débine. Les enfants sont des chiens, ils sont affectueux et reniflent en quantité. En tournant la tête j’aperçois les dos de mère et fille inscrits dans la perspective de l’allée du parc. Qui a bien pu féconder cette femme pour engendrer pareille incongruité ? C’est dans ces moments-là qu’il est utile d’invoquer un poncif neutralisant la réflexion – « pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » par exemple – et de fermer les yeux pour profiter du soleil.

mercredi 8 avril 2009

Action

Un des possibles systèmes d'Action :

Acte.
Plus vite !
Acte. Acte. Acte. Acte. Acte.
Encore !
A. A. A. A. A. A. A. A. A. A. A. A.
De quoi crier.

Et quand l'absurdité de tous ces actes cousus ensemble me rattrape, j'interroge le bien fondé de ma sueur.

lundi 6 avril 2009

Sculpter le vide *3

Phase 03
Toujours même lieu, même chaise, juste moi.

Alors je me rassieds, à quasi tâtons. Je suis myope. Dehors m’aveugle, j’observe dedans. L’effrayante banalité de ceux qui voient bien depuis leur naissance m’a toujours frappée. Impossible d’échapper au commun si on voit bien. Une cécité, réelle ou fantasmée, est indispensable à la création d’original. Voir mal laisse l’imagination broder le reste des réponses. Grincement. Une femme en robe d’été bleuâtre pénètre dans mon périmètre. Elle n’est pas seule. Un visage cachée par une frange trop longue, des pieds qui marchent comme à reculons, une tête obstinément baissée par la bouderie, sa fille, grassouillette. Bien qu’indésirable, cette gamine attire mon attention. Elle tient entre ses doigts quelque chose, quelque chose de vert, quelque chose qu’elle porte à sa bouche : une feuille de salade. N’allez pas me dire que cette enfant grignote exclusivement des feuilles de salade, elle est bien plus grosse qu’un lapin ! Mon dieu, voici qu’elle s’arrête à ma hauteur. Je me délite.

jeudi 2 avril 2009

Sculpter le vide *2

Phase 02
Au même endroit.

Assise sur cette chaise, je me vois muette, en lisière d’abscons. Stop. Je me lève. Halète. Stop. Corps locomotive, souffle fournaise. Stop. L’impuissance me serre les dents. Douleur et ridicule me piquent net au vif et soudain je me vois me dépêcher d’articuler à toute vitesse des phrases interminables et inutiles sans aucune ponctuation interstitielle pouvant aider un interlocuteur ou un auditeur à appréhender le sens exact de ces paroles jetées au vent dans l’espoir de masquer l’intolérable gène qui m’a surprise sans crier gare à cet instant précis stop. Surtout que je suis seule, debout. Idiote.
à suivre


mardi 31 mars 2009

Épître à dent

Paris, le 31 mars 2009

Mon cher Barnabé,

Je te suppose en bonne santé, toujours aussi alerte et vif. Du moins, je te le souhaite. Dans le cas inverse, ne t’inquiète pas, la médecine fait des miracles et je ne doute pas de ton prompt rétablissement. Si toutefois tu te trouves à l’agonie, sache que tu n’es pas seul. Nous sommes tous logés à la même enseigne, et chaque nouveau jour nous emmène un peu plus loin vers notre disparition définitive. Par malheur, la nature inquiète de l’humain a la tendance fâcheuse à transformer en menace tout ce qu’elle échoue à appréhender. Si toi aussi tu as peur, ne t’inquiète pas, c’est normal. Respire un bon coup, mourir n’est pas si grave. Le tout est de savoir rester digne. Je ne doute en aucun cas de ta force intérieure, tiens toi droit, et savoure ces derniers instants avec bravoure. Je pense à toi.

Apparemment, tes récentes activités sexuelles se sont bien passées. On ne m’en a dit que du bien. Félicitation, tu m’étonneras toujours. J’ai adoré le moment des orteils, mais l’apogée a été atteinte avec l’idée du puzzle. Il n’y a que toi pour inventer de telles absurdités ! Tu vas me manquer.



De mon côté, tout va bien. Je passe mon temps à croiser un certain Alphonse dans la rue, plusieurs fois par jour. Il ressemble à ta mère. Je n’ai pas osé lui dire car nous ne parlons pas de ce genre de choses. L’autre fois, il a évoqué la possibilité de venir prendre un bain chez moi, un jour où je ne suis pas là. Je trouve l’idée très bonne, cela va élever ma baignoire au rang public ; je me verrais donc officiellement considéré comme « possédant une baignoire », ce qui est beaucoup plus valorisant socialement que de n’avoir qu’une douche.
Ah oui, j’oubliais : ton chat est tombé du balcon hier, il est en fort mauvais état. Le vétérinaire a dû lui amputer les deux pattes avant. Il est actuellement encore sous anesthésie, mais il s’en sortira. Savais-tu qu’il existait des prothèses de pattes pour animaux domestiques ? Il y en a de toutes sortes, mais j’ai opté pour la simplicité (tu es, je pense, d’accord avec moi). Deux sobres jambes en bois enrobées de mousse feront amplement l’affaire. Je t’enverrais une photo du nouveau corps de Gino dès qu’il sera complet !
Cher Barnabé, la rédaction de cette lettre fut un plaisir.

Je te souhaite une bonne santé, un prompt rétablissement ou une belle mort ; je passe le bonjour de ta part à Alphonse et Gino.
Vive les prothèses, je t’embrasse.

Simon Le Pointu

Sculpter le vide *1

Phase 01
25 degrés, brise, quelques arbres.

Assise sur cette chaise, je me vois hébétée, en lisière de nonchalance. Mon être fuit par expirations nettes. Intérieurement, je suis conque. Spacieuse. L’inattendu m’a pris de court : bousculade, chute, liquéfaction. Le présent est évaporé. Un dernier résidu d’agitation gigote, fervent, énervant. Il tente avec acharnement de tracer des mots dans l’absence, mais je l’ignore. Je préfère conserver ma charmante chute. Tout en moi est mou et je suis précaire équilibre sur l’unique point solide. Bouger équivaut à tomber : l’immobilité est solution. Les bruits alentour, ma respiration, les infinies vibrations de mon œil, le goût de ma salive, le passage de l’air frais dans mes narines, les grattements, les images fugitives, restent périphérie. Au centre, une fissure calme où rien ne s’imprime, brèche où le temps explose : silence.
à suivre

lundi 23 mars 2009

Kiwi Power

La délicieuse Sasha, dénicheuse de tendances, globe trotter et journaliste, vient de publier un article sur l'inondation de tissu chlorophylle à laquelle j'ai allègrement participé à coup de création de tee-shirt !
Je vous laisse découvrir son article ici, et par la même occasion son blog !

vendredi 20 mars 2009

Découverte




Idiot de Macaigne !

C'est avec une jubilation non contenue que j'ai lu l'article de Mr Philippe Du Vignal à propos du spectacle "Idiot !" au Théâtre National de Chaillot, mis en scène par Vincent Macaigne.
La particularité de cet ambitieux spectacle - de trois heures trente - est d'avoir réussi à me faire quitter mon siège au bout d'une heure. Dieu que j'ai regretté les tomates ! Et si, au lieu de débarrasser le plancher, j'avais pu me lever pour leur crier à tous un retentissant "vos gueules", j'aurais été aux anges ! Quelle drôle d'idée de faire subir autant de violence à son public... et de surcroît, uniquement pour se faire remarquer.
En attendant de vous faire lire un article salé et hautement subjectif à ce sujet, jetez donc un oeil à celui de Philippe Du Vignal aux dires plus modérés - et documentés - que les miens.

Portraits à Gennevilliers

Deux critiques à la fois sur Les Trois Coups, dans le cadre du cycle "Portrait/portrait" au Théâtre de Gennevillers :
• une pour "Loin..." de Rachid Ouramdane
• une autre "De mes propres mains" de Pascal Rambert

dimanche 15 mars 2009

L'Homme Art

Un Homme habillé en justaucorps noir est assis à table. Il tient entre les mains un homard cuit et le fixe avec une grande intensité.

HOMME , au homard
Tu sais, je crois que nous ne sommes pas si différents que ça. Sauf que toi, tu es cuit. Moi j'en pince encore... Si tu n’étais pas si cuit, je te dirais que je t’aime, et tu l’entendrais, oui, je suis sûr que tu l’entendrais. Je serais cru. Nous ne sommes pas si différents l’un de l’autre.

Tandis qu'il parle, trois personnes aux visages recouverts d'un tissu Bleu Foncé, Vermillon et Vert Olive, eux aussi en justaucorps noir, viennent se placer autour de lui très calmement.

BLEU FONCÉ
Il faut qu’on parle.

VERMILLON
L’heure est grave.

HOMME, détachant difficilement les yeux de son homard
Ha oui ?

VERT OLIVE
Oui. Il va falloir faire un effort.

VERMILLON
Un effort.

BLEU FONCÉ
Oui, un effort.

HOMME
Un effort… ?

VERMILLON
Ça ne peut plus durer

BLEU FONCÉ
On n’en peut plus, c'est trop.

VERT OLIVE, secouant la tête
Trop !

HOMME, sincère
Mais quoi ? Qu’est-ce qui ne peut plus durer ?

BLEU FONCÉ, aux autres
Il sait très bien de quoi nous parlons mais il feint !

VERT OLIVE
Tu sais très bien de quoi nous parlons.

VERMILLON
Il le sait mieux que personne. C'est une feinte.

HOMME, étonné
Ah bon ?

VERT OLIVE
Parfaitement !

VERMILLON
Indubitablement !

BLEU FONCÉ
Ça tombe sous le sens !

VERT OLIVE
Sensiblement !

VERMILLON
Cela a assez duré !

VERT OLIVE
Il est intolérable !

BLEU FONCÉ
Oui !

VERT OLIVE
Oui !

HOMME
Mais... Expliquez-vous !

VERMILLON
Tu n’as pas compris ?

BLEU FONCÉ
Il n’a pas compris.

VERMILLON
Il ne comprend rien !

VERT OLIVE
Un âne !

BLEU FONCÉ
Un benêt !

VERT OLIVE
Impossible !

Silence

BLEU FONCÉ, montrant du doigt le visage de l'Homme
Ça !

HOMME, se portant prestement la main au visage
Non !

BLEU FONCÉ, VERMILLON et VERT OLIVE
Si !

HOMME, outré
Mais non, vous dis-je !

Un temps. Ils s'observent, en suspend.

VERMILLON
C'est le moment.

VERT OLIVE, d'une voix doucereuse, lui posant la main sur l'épaule
Ça ne fait pas mal.

BLEU FONCÉ, lui posant la main sur l'autre épaule
C'est l'affaire de quelques minutes.

VERMILLON
Nous t'aimons déjà.

HOMME
Monstres !

L'Homme se dégage brusquement et tente de s'enfuir de la pièce.
Vermillon, Vert Olive et Bleu Foncé le plaquent au sol et l'immobilisent. Bleu Foncé sort de sa poche un morceau de tissu jaune percé de deux trous pour les yeux et d'un trou pour la bouche. L'Homme a beau se débattre, son visage se retrouve rapidement recouvert par le tissu dûment positionné, puis fixé au crâne à l'aide d'une sorte d'agrafeuse.

BLEU FONCÉ, VERMILLON et VERT OLIVE, chacun à leur tour, exécutant une petite courbette
Bienvenue parmi nous, Jaune Primaire.

Ils quittent la pièce. Jaune Primaire, d'abord inerte, se relève péniblement et sort. Sur la table, le homard reste seul.

vendredi 13 mars 2009

Summer time

Une plage en plein été. Elle 45 ans, Lui 49.

LUI
Éprouver cette sorte de solitude, ça me scie. Je ne pensais pas que cela existait avant de le vivre.

ELLE
C’est l’âge.

LUI
Tu crois ?

ELLE, se rétractant
Je ne sais pas. J’ai dit ça pour dire quelque chose.

LUI
Tu trouves que j’ai vieilli ?

ELLE
Mais non.

LUI
Isabelle, répond-moi franchement : est-ce que j’ai pris un coup de vieux ?

ELLE, après un silence, marchant sur des oeufs
Un peu…


LUI
Ah ouais ?

ELLE
Oui… Mais cela n’enlève rien à ton charme. Au contraire même. Les hommes mûrs ont la cote.

LUI, dévasté, écarquillé, n’écoutant pas
Merde.

ELLE
Hé ho, tu m’entends ? Je te dis que ça te va bien.

LUI, peu convaincu
Ouais ouais.

ELLE
Mais oui !

LUI
Tu sais quoi ?

ELLE, maternelle
Quoi, petit chat ?

LUI
Toi aussi tu as vieilli.

Silence. Ils se regardent. Elle accuse le coup.

ELLE, vexée
Ce n’est pas une raison pour devenir désagréable !

LUI, ironique
Non, ça te va bien je t’assure.

ELLE, cynique
Merci, ça fait chaud au cœur !

LUI
Du calme, ne te mets pas dans cet état.

ELLE, énervée
Du calme ? Non mais tu vois comment tu m’agresses ?

Silence. Ils soutiennent mutuellement leurs regards, puis il fini par laisser tomber en esquissant un geste d’impuissance.

LUI
Allez, d’accord, excuse moi.

ELLE
N’en parlons plus.

Un temps.


LUI
Tu as vu cette fille ?

ELLE, acide
Elle te plaît ?

LUI
Arrête un peu. C’est ce dont je te parlais tout à l’heure : pour être seule, elle a besoin d’être entourée. C'est une jolie forme de solitude, non ?

ELLE
Tu es en train de me dire que la « forme de solitude » de cette fille est jolie, c'est bien ça ?

LUI
Oh, il est vraiment impossible d’avoir une discussion avec toi. C’est incroyable comme tu ne t’intéresses à rien d’autre qu’à ta petite personne !

Elle le fixe un instant, silencieuse, puis se met à fouiner dans son sac avec agitation. Elle en extirpe un gros paquet cadeau qu’elle pose sans aucune délicatesse devant elle. Un temps.


LUI
C’est… pour moi ?

ELLE
A ton avis ?

Il reste coi, et la regarde comme un petit garçon pris en faute. Elle se lève et l’embrasse avec tendresse.

ELLE, féline
Je te déteste.

LUI, avec un sourire
Moi aussi.

mercredi 11 mars 2009

Sur un fil à retordre (critique)

Françoise Lorente a une pêche d'enfer et signe un spectacle à la Comédie Saint Michel : "Sur un fil à retordre".
Lisez en donc la critique ici !

12e festival du court métrage de Bruxelles

"Stay the same" est sélectionné pour le 12ème Festival du Court Métrage de Bruxelles, qui aura lieu du 30 avril au 10 mai 2009 à Bruxelles et sera suivi d'une tournée en Wallonie ! Il sera projeté dans le cadre d'un programme spécial hors compétition appelé clips.
Bref, je ne pense pas que je pourrais y être, donc allez-y et racontez-moi après surtout !

dimanche 8 mars 2009

Le Dîner

Le langage, remède efficace du cri vagissement primitif « maman ». Soudain, « maman » est objet, « maman » transportable et permanente, maman articulable. « Papa » s'articule aussi, sauf que papa n’est pas là. Pour tromper l’attente, elle lit des contes à ses enfants, mon frère et moi. Nous attendons le retour de l'hypothèse père, sujet central éloigné du sujet. Ma mère pense à la possible ire de l'homme et ne dépense plus, elle conte. Le remplissage d'assiette est exclu. Écouter lire l'attente structure maigrement la faim. Le frustrant langage fuit de sa bouche, infiniment.

Un énorme miroir fixe la table de la cuisine. Quatre convives doublés spéculaires donnent une table de huit et même un seul assis donne deux. Seules deux places face y plongent directement, les deux autres restent profils.

Tandis que certaines — maman et son double — se plaisent à tromper l’Autre à haute voix dans le langage d'un écrivain absent, mon frère et moi gargouillons en duplication, augmentés par notre deuxième paire de corps plats. Signant son entrée avec fracas, l'Autre surgit. La langue de ma mère arrête le conte subitement caduc. Pluie de silence. Le grand Autre prend place, il a faim. C’est le moment de manger, tous les huit réunis, nous quatre augmentés.
Assis à sa place, le père parle continûment avec faste, en double profil. La mère maugrée de devoir se réduire à l'ingestion. Elle tente désespérément de lui remplir pour la dixième fois son assiette déjà débordante, lourde à n'en plus pouvoir la soulever. Lui proteste vigoureusement, prodiguant mots et grammaire à son faible poignet.



Nous, mon frère mes doubles et moi, mangeons de concert. Qui sont les charlatans entre nos doubles, nous, mon frère et moi ? Qui sont les doubles, qui est quoi, je ne sais pas. Mon frère et moi sommes entre assortis. Il faut de façon impérative que les parts servies dans les quatre assiettes — comprenons deux additionnées de deux autres plates diminuées d’odeur et de saveur — soient identiques. Rigoureusement identiques. Sous peine d’injustice hurlée.

La légale égalité de deux individus de différents sexes, pour ne pas dire opposés, est fondamentale à la fratrie. Cette similitude imitée par perpétuelle contagion de l’un à l’autre à l’un, à la limite de l’indécence, a un impact irrémédiable pourtant souterrain, précieux à cet instant. Nous donc, les deux augmentés bis mangeons en tête à corps, l’œil fiché au fond de nos regards. Transgressant parfois la politesse de notre image, nous allons jusqu’à faire des grimaces. Lui, intervient alors sèchement, rappelant ces corps doubles à l’ordre du mérite. La mère, pâlotte, proteste. Elle veut laisser s’exprimer les petits, la femme défend son faible. Mais elle se voit rapidement emmaillotée dans les filets d'un langage autre, substitué au sien avec une obscène facilité. À ces mots d’homme, elle rétorque des maux de femme ; ses intolérables maux font taire par corps, plongeant vers l'inquiétant ailleurs de la formelle promesse du creux. Elle et lui font ensemble sens lorsqu'elle ne dit pas.

Un corps de femme perdue armée de maux donne vertige, surtout lorsqu’il est retrouvé doublé dans le miroir de la cuisine lors d’un repas où il chipote. Nul ne comprend ce qu’il dit, mais il dévoile le troublant invisible du versant femme. L’interdite maman s’exprime là dans toute la splendeur de son silence. Puis elle mastique. La bouche fermée. Avec application. Elle mastique obsessionnellement, aussi longtemps que le permet la réduction de la nourriture par les dents de son orifice buccal. Son silence s’entache d’un insidieux son permanent. Un bruit de succion entêtant accompagne les liquidités voyageuses et soudain, entêtés que nous devenons mes doubles et moi, il n’y a plus que cette femme mandibule piaffante appliquée à repousser à l’extrême son désir de déglutir. Elle nourrit nos oreilles d’une symphonie bruitiste organique, à l'insupportable déconstruction répétée. Énorme, elle l’est, peu importe son anorexique épaisseur. La beauté fascinante de cette mère se loge dans ses interstices, en pointillé blancs. Les espaces interdits entre ses mots tus et ses maux dits la dévoient alors, et nous baissons les yeux.
Elle transgresse, invisible, le sens.

"Je me souviens" au Lucernaire


Jérôme Rouger nous "anaphorise" de pied en cap : cliquez ici, c'est ma critique sur Les Trois Coups !

lundi 2 mars 2009

De l'influence du langage sur la destinée d'un Éléphant

Une Souris et un Éléphant sont nez à nez. Long silence.

SOURIS
Tu es fort.

ÉLÉPHANT, sincèrement étonné
Ah !

SOURIS
Oui. Tu es grand, puissant. Avec toi, je me sens en sécurité.

ÉLÉPHANT, se rengorgeant
Vraiment ? Merci.

SOURIS
Je dois partir. Au revoir.

Elle s’éloigne.

ÉLÉPHANT, la rattrapant
Hé ! Je peux venir avec toi ?

SOURIS
Non.

Il ne s'en remit jamais.

jeudi 26 février 2009

La jouissance de l'oeil esthétique (modifié)

"Le regard informe, là où la vision reforme." Jean-Loup Rivière, Chronique du 23 février 2009, France Culture (puisse-t-il me pardonner de l'avoir sorti de son contexte).

À l'écoute, cette phrase m'a provoqué une déflagration interne. Effectivement, outre le genre, la différence entre un regard et une vision est nette. Développons.


"Le regard informe".
Le Regard est une tentative de transcription neutre du réel. À travers lui, tout en gardant à l'esprit l'invariable échec de l'objectivité, on informe le "regardant" (lecteur ou spectateur potentiel) de quelque chose, sans lui induire de point de vue déterminé, de forme. Il peut de cette façon, guilleret, se composer lui-même une pensée en s'appuyant sur ledit Regard. En l'informant, le Regard forme donc la pensée du "regardant" car il lui laisse un espace, condition nécessaire à son existence.
"(...) là où la vision reforme."
La Vision prend ancrage dans le réel, puis le transcende en le réinterprétant : elle lui donne de cette façon une consistance nouvelle. Une Vision se suffit à elle-même ; lorsqu'elle est réussie, elle reforme le réel, rendant subitement accessible l'insaisissable de la pensée humaine. Oserai-je alors dire qu'elle nous offre un ineffable orgasme intellectuel ? Non, je suis trop prude.


Commentaire de Sébastien Hayez :

"Très intéressant, même si je n'ai pas entendu l'émission.
Tu passes à côté de l'aspect "visionnaire" de la vision (même si tu la pressens) : si je prend la vison dans son autre sens, non optique, la vision reforme car avoir une "vision" c'est reconnaitre les choses d'emblée, être dépassé, être révélé par une image, ou la vision d'une image (image produite par l'homme ou l'œil).

Le regard serait presque seulement, une orientation du fait de "voir".


Si je fais l'analogie avec le son…
Le regard serait "entendre" quand la vision serait au delà de l'écoute : la compréhension d'une écoute.

Là, où je peux te rejoindre et percevoir ce que tu peux comprendre, c'est que dans l'image, une description du réel est incomplète tant qu'on ne l'a pas dépassé par une traduction "visionnaire", réinterprétée qui saura lui donner une forme traduite, à la hauteur de ce que tu as pu en comprendre, ou ressentir.

Peut-être que je m'égare trop."

Commentaire réponse :
"En fait, je crois que ma note n'est pas très claire. Ce que tu définis comme "visionnaire", c'est exactement ce que j'ai voulu dire.

Déjà, je ne parlais pas du tout de la Vision et du Regard en terme physiologique, mais en terme d'expression. C'était une exploration, toute subjective, de la différence entre l'expression d'un Regard et l'expression d'une Vision.

Pour essayer de résumer mon propos, la Vision a une dimension artistique intrinsèque que le Regard n'a pas.
Par contre, le Regard peut être à l'origine d'une Vision, car il inclut "l'Autre", contrairement à la Vision qui se suffit à elle-même.
Pour illustrer, le théâtre de Ionesco serait une Vision, une recette de cuisine un Regard...

Je ne sais pas si nous sommes réellement d'accord quand tu dis qu'un Regard seul sur le réel est incomplet. Pour moi les deux approches — Regard et Vision — sont intéressantes, quoique de styles différents.
Bon, j'avoue, j'ai un faible pour les Visions car elles me bouleversent plus."